Je comprends. Je comprends que dans un quotidien rempli des tracas du travail et de la vie personnelle, du jugement des autres exacerbé par les réseaux sociaux, on ait pour une fois envie d’avoir l’emprise sur une chose plus grande que nous, surtout quand on nous a donné la soi-disant chance de pouvoir le faire tous les cinq ans. Je comprends qu’à force de débats, de traditions familiales, d’histoires intimes on se sente enclin à embrasser la cause d’un candidat qui semble porter nos valeurs, du moins nos aspirations, si ce n’est au minimum des mesures en faveur de notre position sociale. Eux aussi l’ont compris. Tellement bien, même, qu’ils font des carrières sur nos rêves.
Je ne comprends pas pourquoi, en revanche, devant tant d’échecs répétés, de trahisons en affaires d’Etat, d’attentats en attentats, on persiste à signer, à faire la queue, à perdre de l’énergie et du temps pour cautionner ce système après lequel on râle tous les matins. Je ne comprends pas pourquoi on devrait tirer les conclusions de nos échecs intimes mais pas celles de nos échecs citoyens. Je ne comprends pas. Est-on à ce point drogués à la politique spectacle, à cette culture du cool qui pousse nos cellules à travailler uniquement à la surface et pas au cœur ? Je ne comprends pas comment Sarkozy, Juppé et Fillon, batteries de casseroles au cul, ont encore le droit de se présenter. Je ne comprends pas comment Valls, Hamon ou Hollande, champions des saloperies apparatchiks…et des victoires aux élections, ont encore le droit de l’ouvrir. Je ne comprends pas comment Mélenchon et Marine le Pen, véritables doubles maléfiques, vivant sur le dos de l’Europe depuis des années mais voulant pourtant la tuer, sont encore crédibles une seule seconde. Par contre, je comprends très bien pourquoi et comment Macron, nouveau leader maximus des élites mondialisées et avatar de toutes les déviances progressistes a le droit aux louanges de médias soumis aux mêmes mouvements que cette marionnette. Ce que je ne comprends vraiment pas, c’est que l’on continue à les écouter, à donner de l’argent à leurs partis, à s’écharper pour eux en soirée ou sur les pavés.
Je comprendrais qu’on aille voter encore une fois, comme pour ménager une dernière chance à nos désirs. Je comprendrais qu’on estime qu’il n’y a pas d’alternative et qu’il faut faire « vivre la démocratie et exercer ce droit de vote pour lequel des gens sont morts ».
Je ne comprendrais pas, par contre, qu’on ne se pose pas davantage de questions. La révolte a bien eu lieu, mais pas celle que l’on croit. De manière insidieuse, sous le couvert de la démocratie et des droits de l’homme, ce sont les élites qui se sont révoltées. Depuis quand le peuple a-t-il le droit d’emmerder ceux qui font la loi ? Alors on verrouille le système avec les 500 signatures publiques, le temps de parole basé sur les sondages, la fin de la pluralité des médias qu’on tue en les rachetant. On fait courir les gens, on abolit les différences en faisant croire que c’est ça la liberté. On accélère le temps, on ne laisse pas les consommateurs être distraits durant leurs moments de distraction. Il ne faudrait pas qu’ils aient le temps de réfléchir sur leur vie, sur les 80 ans qu’ils ont à passer sur cette terre, on leur promet donc un peu de rab. On tente de leur faire oublier qu’ils sont de moins en moins à produire quelque chose d’utile de leurs mains en leur mettant de nouvelles causes à défendre devant les yeux, prêtes à consommer ; on leur donne la notice sur Instagram.
Je comprends. Je comprends qu’on ait justement envie d’en profiter que ces 80 ans passés sur Terre. On bouffe la vie. On bouffe la Vie. On mange la Terre. L’indigestion passera avec l’aide de la science. On s’éloigne de l’élection présidentielle, me direz-vous. Tant mieux, c’est le but. S’en éloigner c’est se rapprocher de l’essentiel. Je comprends qu’il est difficile de remettre en cause le fonctionnement d’un système dont on nous rabâche les bienfaits et la sécurité toute la journée. Sauf que le réel crie le contraire. Je comprends qu’on veuille voter (une fois de plus) pour le moins pire, mais c’est déjà voter pour le pire. Voter, aujourd’hui, c’est les conforter dans leur impunité, faire table rase de leurs mauvaises actions, transférer leur irresponsabilité sur notre propre culpabilité. Je comprends qu’on ressente le besoin d’avoir des représentants qu’on a l’impression d’investir d’une mission, sauf que cela revient à cautionner leurs trahisons et à cautionner ce système qui n’est démocratique que par incantation, ce pouvoir qui choisit ses membres mais aussi ses ennemis. Des alternatives existent, aujourd’hui repoussées par un bras que l’on s’apprête à renforcer en votant. Voter, dans la situation actuelle, c’est ôter tout espoir à ces alternatives. Pour qu’elles voient un jour la lumière, il faudra que le système vacille. L’abstention que je prône aujourd’hui n’est donc absolument pas une solution, mais plutôt une petite étincelle d’espoir qui ne demande qu’à s’embraser.